Souffrir pour grandir

Un ami proche s’est confié dernièrement à moi suite à son entrée un peu fortuite mais “brutale” dans l’univers BDSM. Sans avoir jamais participé activement dans cette communauté, j'ai quand même déjà (pas mal) lu sur le sujet. Spécifiquement au niveau du sado-masochisme. Le masochisme spécialement. Et aussi l'aspect de domination (qui est différent mais relié). J'ai jamais vraiment compris pourquoi ça m'interpelle autant, et à un niveau pas nécessairement sexuel mais ça peut venir s'en mêler assez vite. Pour quelques jour je me suis demandé si je ne serais tentée d’explorer cette dimension pour moi-même et ce que ça pourrait m’apporter. J'ai entre autre lu le blog d'une bouddhiste soumise, Servir pour Grandir, et ça m’a beaucoup ébranlé. Et les liens ont commencé à se faire dans ma tête. Voici le fruit de ma réflexion sur le sujet.

 

De mon point de vue, le BDSM est une façon comme une autre d'explorer ses limites. Physiques, mentales, émotionnelles et aussi parfois spirituelles. L'idée est que, par la connaissance des limites véritables de notre propre corps, coeur et esprit, on en prend finalement contrôle. On devient maître de Soi. On se connaît pleinement. Et je peux voir pourquoi pour les gens qui ont beaucoup vécu dans un cadre limitatif, ça peut devenir un outil d'exploration attrayant, voire une obsession. Regardons quelques aspects. 

 

La douleur physique

Je la connais bien. J'ai d'abord été un enfant et jeune adulte très malade. J'ai souvent été victime de mon propre corps en ce sens. Qui plus est, le tatouage est aussi à un certain niveau un acte d'appropriation du corps par la douleur et une marque permanente, visible à tous et pour toute la vie. Les extrêmes physiques je les connais (j’ai d'ailleurs dernièrement franchi la barrière psychologique que j’ai toujours eu de ne jamais me faire tatouer le visage). Je sais que je peux endurer d'extrêmes douleurs et survivre, guérir, devenir plus forte. J'ai pas besoin de personne pour me faire vivre ça. Et oui après un temps cette douleur et la capacité à la supporter et l'accepter devient "jouissante" car empowering. On devient maître de son corps. (pour d'autres ça pourrait passer par l'entraînement physique, l'automutilation, l'anorexie etc. Certains moyens certainement plus "sains" que d'autres dans leur nature obsessive/destructive) 

 

La douleur émotionnelle/mentale

C'est ma zone de torture privilégiée on dirait. Et celle où je suis encore en train d'apprendre. Pour vrai j'ai toujours eu des relations émotionnellement tourmentées. Avec mes parents, les autres enfants à l'école puis avec mes partenaires. Et j'ai vécu à peu près toutes les formes d'abus. J'ai appris à dealer et me sortir de plein de situations super tordues ou j'étais définitivement torturée, abusé, diminuée, soumise à la volonté de l'autre personne par tous les types de manipulation possibles. Et au fil des expériences j'ai appris à moins en moins tolérer certaines formes d'abus et j'ai vu les manipulation devenir de plus en plus subtiles et perverses. Comme j'ai déjà dit, je lisais dans le blog de la femme séance après séance de "torture" et malgré les abus grandissants, reprendre la posture de soumission encore et encore pour un round de plus. Je me suis vue là, métaphoriquement, attendant d'être surprise à chaque fois par le niveau de douleur infligée, mais explorant à fond les limites de ma tolérance. C'est cet aspect de moi que j'ai enfin l'impression de transcender dernièrement. 

 

La soumission 

Le mot qui m'a fait allumé est "service". Comme pour moi la notion de service est plutôt dans le sens de service au temple (ou à la limite servir un Dieu). C'est une notion hautement spirituelle qui va de pair avec s'abandonner (surrender) et lâcher prise (dans la lignée de mon texte précédent). Dans la domination les gens choisissent de servir une personne à la place mais je pense que ca vient de la même place. D'abord y a quelque chose de sécurisant dans s'abandonner. Ne plus être responsable de rien. Accueillir ce qui vient. Accepter inconditionnellement la caresse ou le coup. D'ailleurs le coup de bâton est utilisé dans les enseignements zen. Et dans le bouddhisme, l'équanimité d'accueillir l'expérience plaisante et déplaisante. L'abandon, c'est quelque chose que je pratique régulièrement spirituellement, entre autre par la méditation. Et pour moi la Force Divine, l'Univers, et à la limite mon Esprit Supérieur sont mes seuls maîtres et guides. L'idée qu'une autre personne, aussi charismatique soit elle puisse être mon "maître" m'est simplement inconcevable, même en poussant le "rôle play" et en faisant vraiment "semblant",  ça ne marcherait pas bien longtemps. Il me faudrait vraiment me briser beaucoup psychologiquement pour me rendre là et vraiment je n'aspire pas du tout à cette expérience qui à mon avis serait infiniment malsaine. 

 

La domination

L'autre chose que je veux mentionner c'est que dans la plupart des récits que j'ai lu sur le sujet, souvent, la personne dominée, après avoir passé par tout le spectre des extrêmes et d'abus, finit souvent par elle-même devenir dominante à son tour et je crois comprendre que plusieurs "dom" ont commencé en tant que soumis. (qu'on me corrige si je me trompe, mais à mon sens, pour bien évaluer comment faire explorer à l'autre ses limites, il faut avoir fait le même cheminement et conclu nos propres limites nous-même. L'étudiant avant le maître. Littéralement).

 

Pour ce qui est du rôle de la dominante en ce qui me concerne. Bien c'est pas difficile, j'ai passé ma vie en position de domination ou en découverte des limites de mon pouvoir dans le travail. Je n'ai nul plaisir à torturer les gens mais je sais aussi que si je veux vraiment quelque chose, je peux l'obtenir et je sais comment adresser à peu près n'importe quelle situation de conflit ou d'opression. Je sais m'imposer quand il le faut et aussi me défendre au besoin. Rares sont les personnes qui pourraient m'intimider et je sais que je peux devenir à mon tour l'intimidante mais je préfère de loin l'empathie et la collaboration. J'ai clairement pas d'excitation à voir quelqu'un ramper pour moi. J'aime mieux donner. Et puis littéralement à tous les jours je fais déjà repousser aux gens leur limite de tolérance à la douleur, pour l'obtention d'un résultat désiré et transformateur.

 

Bref, malgré la fascination, je pense qu'au fond mon exploration est terminée. Pas à recommencer pour recommencer. J'ai déjà vécu les extrêmes de plusieurs façons et bien qu'une partie de moi aime encore fantasmer certains sévices, mes valeurs spirituelles actuelles et mon sens du Soi m'empêchent d'engager sexuellement avec quelqu'un avec qui je ne suis pas impliquée émotionnellement, psychologiquement et spirituellement. J'aime toujours parfois explorer un petit côté plus "sauvage", dans le respect, en alternance de rôle, et conclu dans la tendresse, avec quelqu'un que j'aime et qui m'aime réciproquement. Mais ça n'est ni un pré-requis ni une obsession. Donc au final j’ai conclu que j’avais pas vraiment besoin de ça pour poursuivre mon cheminement. :) Merci mon ami pour avoir stimulé ma réflexion.

 

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