Réclamer le « tramp stamp »

Quand j'ai commencé à tatouer en 2005, les choses étaient vraiment différentes d'aujourd'hui. Dans un sens, le tatouage était moins répandu dans la population générale, mais de l’autre, pour la minorité des gens concernés, il y avait moins de stigmates impliqués. Y avait quelque chose d’un peu plus personnel, de moins politique, voire un peu plus primal dans l’acte, et comme on faisait ça davantage en privé, les jugements étaient souvent évités. 

 

Un « tramp stamp », on appelait tout simplement ça un  « lower back tattoo » et dans ces années, j’en ai fait beaucoup. C'était considéré comme la quintessence du tatouage féminin, parfois sexy, parfois juste  « bad ass ». Un petit jeans taille basse ou un chandail un peu plus court, quand on feel coquette ou rebelle : ça n'a tué personne à l'an 2000, et toujours pas en 2021. Un chandail un peu plus long et hop, c'est caché. Assez modeste comme choix d'emplacement si vous voulez mon avis de fille tatouée dans le front.

 

Alors pourquoi la condamnation radicale du « tramp stamp »? Pour faire une réponse simple : une autre fantaisie de l'oppression patriarcale. C'est vrai qu'au tournant du vingtième siècle, le combat du féminisme était loin d'être gagné, alors entre une petite dose de sexisme ordinaire, pourquoi pas un soupçon de slut shaming? Penser qu’une femme tatouée manque fondamentalement de vertu est un non-sens en 2021, mais pourtant, le taux de tatouage réalisé au bas du dos a radicalement diminué. Comme quoi le subconscient internalise le jugement social, et je trouve que c’est d’une tristesse sans nom.

 

Un tatouage dans le bas du dos pour une femme, c’est beau. La largeur et la courbe des hanches et la plongée du fessier forment une zone graphiquement privilégiée. Une ponctuation de la ligne des jambes et du galbe, un vecteur soulignant la verticalité du torse : ce V d’une bonne surface est un des rares endroits du corps à pouvoir accommoder une composition symétrique de proportion intéressante.

 

Un tatouage dans le bas du dos pour une femme, en plus de ça, c’est puissant. Sans être une zone spécifiquement érotique, c’est certainement une zone érogène, en plus d’être le siège métaphysique du deuxième chakra : celui de la féminité. C’est donc intéressant de voir à quel point dans la conscience collective la réclamation personnelle de cet emplacement est réprimée, alors qu’on voit des « underboob » tattoos à la tonne sur les internets sans connotation particulièrement honteuse. 

 

Si se faire tatouer est avant tout un acte d'appropriation de son corps, le corps des femmes semble souvent encore appartenir à tout le monde sauf à elles-mêmes. Le regard masculin objectifie et réclame (plus de nudité et plus de sexe générique et dépersonnalisé) alors que l’action auto-expressive est réfrénée (ma femme, ma fille, ma mère, ma sœur se doivent d’être modestes et bien se comporter, quitte à les y intimider). Quitte à inventer des mythes médicaux pour nous effrayer, comme celui endurant que l’épidurale nous sera refusée, nous condamnant ainsi à un enfer de douleur lors de l'accouchement. You know, la punition proverbiale de la salope originelle.

 

Moi, je vous dis, faites vous tatouer (ou non) où vous le voulez. Un point de plus à considérer dans la chasse à l'oppression et la déconstruction des diktats. C’est vital, c’est crucial, c’est un combat social. Réclamez votre individualité, on mérite la liberté.

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